Les premières grandes collections d’estampes européennes aux Etats-Unis – 2/3
SECONDE PARTIE : Comment Marsh procède pour constituer sa collection ?
Marsh se forme seul à la connaissance de l’estampe sans jamais voyager en Europe avant de former sa collection. Marsh, qui se documente, acquiert de nombreux livres et documents en anglais auprès des libraires new-yorkais Bartlett & Welford. Il achète les grandes éditions in-folio de la Boydell Shakespeare Gallery et de la Houghton Gallery, un ensemble d’estampes gravées d’après les peintures qui se trouvent maintenant à l’Hermitage de Saint-Pétersbourg, autrefois propriété de la famille Walpole à Houghton Hall à Norfolk, en Angleterre.
Ces volumes comprennent des épreuves d’état et des tirages finaux, mais aucun texte. L’ensemble Shakespeare est à la Bibliothèque du Congrès; les deux folios de la Houghton Gallery sont rendus au Smithsonian en 1888.
En 1840, John Russell Bartlett (1805-1886) et son ami Charles Welford (19th) ouvre une firme d’édition et librairie intitulée Bartlett and Welford qui est implantée Astor House Hotel sur la rive ouest de Broadway. La firme qui est réputée pour disposer d’un stock très important d’ouvrages étrangers produit cinq catalogues entre 1840 et 1848.
La Boydell Shakespeare Gallery est une entreprise éditoriale et une galerie d'art fondée en novembre 1786 par le graveur et marchand d'estampes John Boydell qui souhaite développer une école anglaise de peinture d'histoire. Le projet de Boydell comporte trois volets : une édition illustrée des œuvres complètes de William Shakespeare, un recueil in-folio de gravures d’après les tableaux commandés à des peintres de renom pour illustrer l’édition et enfin une galerie d’exposition, ouverte au public, dans laquelle seraient présentées ces œuvres originales. Parmi les artistes sollicités par Boydell se trouvent Richard Westall, Thomas Stothard, George Romney, Henry Fuseli, Benjamin West, Angelica Kauffmann, Robert Smirke, John Opie, Francesco Bartolozzi, Thomas Kirk, James Barry.
La galerie Houghton est une galerie britannique active dans la seconde moitié du 19ème dont certains catalogues sont publiés par Boydell (Cf. Trésor de livres rares et précieux ou Nouveau dictionnaire bibliographique contenant plus de cent mille articles de livres rares, curieux et recherchés par Jean George Théodore Graesse: G-J. 3, Volume 3, page 18)
Etablissement de contacts en Europe
Une autre source importante à New York pour Marsh est la librairie Felix Berteau. Berteau utilise ses contacts étrangers pour fournir à Marsh plusieurs de ses meilleures estampes et sources de références européennes. Marsh acquiert également les catalogues d’art publiés par la firme de Leipzig Rudolph Weigel, qui dispose d’un impressionnant catalogue d’œuvres graphiques anciennes et nouvelles.
Félix Berteau est un libraire et marchand français d’estampes actif au 19ème siècle. A propos de Felix Berteau’s French and Foreign-Language Bookstore, voir https://americanhistory.si.edu/collections/object-groups/marsh-collection/about-the-collection and Helena E. Wright book The First Smithsonian Collection: The European Engravings of George Perkins Marsh and the Role of Prints in the U.S. National Museum - Smithsonian Institution Scholarly Press, Washington DC, 2015. Rudolph Weigel (1804-1867) est un marchand d’estampes, éditeur et collectionneur basé à Leipzig (Allemagne), descendant de la dynastie Weigel établie de longue date. Il publie un « Kunstcatalog » partant des années 1830 qui sert de référence de prix standards pour les tirages antérieurs. La société (Rudolph Weigel Art Auction Institute) est reprise en 1871 avec son fichier clients par Paul Erwin Boerner (1836-1880) qui travaillait auparavant comme commissionnaire pour Rudolph Weigel. Cette opération financière permet à C.G. Boerner de connaître une très forte expansion et marque le début des activités de cette société. (Source librement traduite de https://www.britishmuseum.org/collection/term/BIOG50632).
Acquisitions de références précises
Marsh connait le libraire Rudolf Weigel; il possède et étudie attentivement les volumes du « Kunstcatalog » de Weigel. Mais pour Marsh, l’album qu’il intitule «Early German Masters» présenté par Weigel à la vente aux enchères en 1852 de ce qui reste de la collection Ernst Peter Otto à Leipzig, est un joyau. Cet album se trouve maintenant au National Museum of American History.
« Ernst Peter Otto (1724-1799), négociant, avait formé dans la dernière partie du XVIIIe siècle une collection d'estampes des plus riches et des plus nombreuses. Il profita surtout des années de la Révolution pour attirer à lui nombre de belles pièces qu'on pouvait alors se procurer à vil prix, surtout à Paris et à Bruxelles (…) » (Source: http://www.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/6785).
Marsh utilise ces catalogues pour déterminer quelles estampes acheter et Berteau envoie ensuite les commandes à l’étranger en son nom. Ces achats comprennent des tirages de Callot, Drevet, Dürer, Nanteuil, Ostade, Rembrandt et Wille, entre autres. Marsh apprécie particulièrement ‘La Calcografia’, une publication de 1830 du graveur italien Giuseppe Longhi (1766-1831), qui comprend une liste de quelques deux cents gravures recommandées pour constituer la base d’une belle collection. (source : https://americanhistory.si.edu/collections/object-groups/marsh-collection).
En septembre 1840, il achète pour sa bibliothèque les vingt et un volumes du Peintre Graveur d’Adam von Bartsch (Vienne, 1803-1821). Marsh est par ailleurs très intéressé par les commentaires de Longhi sur la gravure et il inclut à la fois son édition italienne originale et la traduction allemande de Carl Barth (Die Kupferstecherei, 1837) dans son accord de vente avec la Smithsonian. Il achète une douzaine de gravures de Christian Wilhelm Ernst Dietrich (1712-1774), un graveur et peintre allemand du 18ème siècle actif à Dresde. Parmi les estampes de Marsh, on trouve L’éducation d’Achilles (1798) de Charles-Clément Bervic (1756-1822) d’après une peinture de Jean-Baptiste Regnault de 1782.
Quelle réception de l’offre de Marsh par la Smithsonian ?
A propos de la réception de l’offre de Marsh, l’opinion de Charles Coffin Jewett, nommé bibliothécaire à la Smithsonian en 1848, est révélatrice. Il considère les estampes de Marsh comme les meilleurs exemples d’œuvres d’art disponibles car il n’est pas optimiste quant aux perspectives d’acquérir des peintures et des sculptures d’un niveau comparable. Comme il l’explique plus tard dans le rapport annuel de la Smithsonian Institution de 1850, « la gravure semble être la seule branche des beaux-arts que nous pouvons, pour le moment, envisager. Une bonne peinture ou une statue coûterait plus cher qu’une grande collection d’estampes. . . (…) ». Source: Helena E Wright book The First Smithsonian Collection: The European Engravings of George Perkins Marsh and the Role of Prints in the U.S. National Museum – Smithsonian Institution Scholarly Press, Washington DC, 2015. P. 201 and s.o. )
PROCHAINE PARTIE : A l’aube du 19ème siècle, quels sont les autres grands collectionneurs américains d’estampes européennes ?